jueves, 5 de diciembre de 2013

Poèmes de Winston Morales Chavarro (Colombie) en français



ANIQUIRONE

I

Et je vais cherchant les voix du chemin
pour les traduire
assurément elles porteront ton nom
j’ai appris à interpréter la voix du vent
celle-là même qui berce les feuilles entrouvertes
de ton arbre.

Aniquirone, Aniquirone !
le fleuve t’appelle
et dans les gouttes frénétiques de l’air
ton s’en va souffle accroché aux girouettes.

Dans la corbeille de mes mains
arrive impétueux le soleil
avec l’or et le blé de ton sommet
dois-je monter vers le commencement du langage ?

Là les mouettes racontent
les jours difficiles du ciel
le transbordement mystérieux des nuages
dois-je traduire la langue musicale des oiseaux moqueurs et des merles
pour te connaître ?

voici que tu me questionnes
femme aux longs rêves
et aux inexplicables transes
quel est le pays vers lequel tu m’invites ?

A peine sais-je comment tu t’appelles
Le fleuve me l’a conté
et je sais que Aniquirone
est le seuil des autres chemins.


II

Chaque fois que je me rapproche de Schuaima
la mort possède la voix
de multiples oiseaux
l’air bleu voltige de fibre en fibre
tandis que les pierres
jouent à prononcer ses mots peu communs
et les feuilles savent d’avance
que je suis nouveau venu en ce lieu.

Aniquirone
il y a un « je » qui m’arrête
qui s’applique au retour.

Parfois je pense
que cet habitant
jeune parmi les vieux
aime les mêmes choses
la porte obscure des possibilités
le fameux hasard des sollicitations.

Où vont toutes ces voix
qui me conduisent à ton règne ?
Je suis les feuilles qui volent empressés en tout sens
je suis la pluie et sa musique humide
je suis les oiseaux et leurs ondulations
il y a une similitude entre le langage des arbres
et le mien.

C’est seulement ainsi que je peux me rapprocher
seulement ainsi que je sais que j’existe
et que le chemin n’est pas chemin
sinon qu’il va chargé de mots et de voix.

Je suis à Schuaima
je suis arrivé avec la brise
seul son silence musical me satisfait
Aniquirone :
nous parlons de poésie !


III

Aniquirone
quand je descends les escaliers de la maison
je pense que c’est une autre manière d’arriver à Schuaima
- le règne du grand lointain -
Il se peut que descendre
soit une autre forme d’ascension.

de l’autre côté de ce jour
attend le train qui doit nous transporter.

Il pleut,
il pleut
minutes
la route opposée,
va le chemin
contrecoup à ce craquement de paysages.

A la fenêtre
le pont d’arbres
une porte
un arbre d’oiseaux bleus
la rivière d’escargots
tout s’agglutine autour de nous
seul le train va par le chemin
et avec lui
le chant distant des rails
la musique de la rue
la voix continuelle de la pluie
une lumière lointaine qui m’appelle.

Silence, silence !
Je m’en vais accroché au vent
je flotte
et je me rend compte
que la mort est musique
et qu’il faut l’écouter la mort
avec les oreilles alertes.


LES OiSEAUX

Des oiseaux il y en a à Schuaima
comme les sapins en Chine
ou les orientaux mystiques sur les berges du Nil.

Oiseaux parés de lumière :
fauvettes, navires, idiots, goélettes,
routes, serpentaires, piquiers à pattes bleues.

Les oiseaux de cette Terra
connaissent les violettes de Parme, les taons de l’est,
les arborescences du Mississippi;
mondes possibles dans le crépitement de leurs ailes pluvieuses;
oiseaux qui paraissent être nuages d’arbres et de blé
remontant leur vol
par forêts de myrtes y dindes balsamiques.

Ceux-ci ,
les voyageurs de cet océan nu
les oiseaux que rêvera la Douce Aniquirone
dans sa chanson en mémoire de la forêt.

Oiseaux de Schuaima
pourvus d’ailes, de lumière et de jungles
dites-moi :
qu’est-ce qui gravite autour des autres plages ?


LES FLEUVES

Comme un volcan sa chanson de feu
comme une colline de neige rouge,
ainsi vit Schuaima peuplé de fleuves.

Fleuves qui descendent par les plaines
comme des filles nues
avec des tresses d’eau dans leurs bouches.

Le fleuve le plus grand de Schuaima
s’appelle Calixthe.

Il remplit la lune
la voit descendre endormie
par les pierres et les campanules de la vallée.

L’écume avec son rire blanc l’appelle
Calixthe, Calixthe !
gravite le fleuve avec ses plumes d’eau
parce que le vent baise sa mort
et son ronflement de dromadaire.

Là est-il
flottant dans une mer de fleuves Schuaima
innombrables volcans parlant de l’eau :
Paris en forme de lac,
Rogitama un ruisseau de poissons,
Calixthe et ses visages d’argent
vidant ses yeux
dans des amphores de poissons.

Comme un miroir avec face d’homme
comme un penseur de Rodin sur la flaque d’eau
gît Schuaima peuplé de fleuves.

-bas vont les hommes moribonds
pour laisser leurs souvenirs et leurs visages.


Celui-ci est l’arc de l’oubli
le fleuve dans lequel la mémoire descend
entre les collines de rêves
et l’homme s’en va en dormant
tandis que l’eau lui baisse les paupières.


L'EXIL D'EVE

Quelle est belle Eve
Qu’il est beau le serpent qui l’entoure
l’arbre qui croit en elle
le fruit charnel que déploient ses lèvres
quand elle les pose sur l’ocarina
sa musique aux abords du bois.

Quelle est belle sa chevelure
- plumes obscures qui tombent sur ses épaules parfumées -
son nez qui respire d’autres mondes
et crée pour tant de labyrinthes
la fleur d’oranger et les guirlandes qui les remplacent.

Quelle est belle Eve
quelles sont belles ses chevilles
les empreintes qu'elle dessine sur le sable
pour marquer le chemin vers la lumière et vers les ombres.

Qu’ils sont beaux les fils que le monde lui a donnés
beau le fleuve qui descend par les collines de son ventre
beau le volcan de ses yeux de feu.

Qu’elle est belle cette côte pensante
cette poussière sacrée
ce roseau aromatique
qui garde dans ses poumons parfumées
une autre pomme pour les saisons de pluie.


LAZARE
A Jader Rivera Monje.

Maintenant que je suis tant de choses en même temps
maintenant que j’asume mes vies passées
et les lance à la chair ou à la boue
pour qu’elles deviennent des poèmes
ou de petites feuilles qui s’opposent
à l’air ridé du Zaïre
On m’appelle Lazare.

Je suis Lazare
le fils de Béthanie
le frère de Marthe et de Marie
j’ai connu la mort
son fleuve de roses, de glaïeuls, de violettes, de myrtes et lierres
que j’ai transité, navigué et respiré
durant les quatre jours que dure
cette odyssée par le monde fascinant des ombres.

Je suis Lazare
J’ai soixante-dix noms
musique, vent, oiseau, boeuf, pluie
sont certains de ces noms
je crois en la resurrection
en la survie
en le souffle chaud qui se propage
au-delà de ces tribus.

Je me suis levé de la boue neuf fois
et maintenant
je suis la poussière qui ne retournera pas à la poussière.

Mes mains et pieds
Ont encore leur aspect d’enterrement
mais aussi il est certain
que sous mon corps croit l’herbe
qu’entourent le vers de terre, le mille-pattes, les calambrines odorantes,
la mouette qui remonte son vol
à la recherche d’autres courants d’air.

Je suis Lazare
habitant de Béthanie
ami des synagogues
de Canaan, de Capharnaüm, de Nazareth, de Galilée
et d’autres terres lointaines
dont les noms ne se comprendraient pas.

J’ai le visage couvert d’une étoffe
mais chaque fois que je m’ouvre à la vie
chaque fois qu’un papillon
me rappelle que je suis né de nouveau
l’étoffe cède passage
à d’autres étoiles, à d’autres lumières, à de nouvelles espèces animales,
à d’autres chemins.

Je suis Lazare
et en ce voyage vers la fin de la vie
je m’assierai sur une autre roche
à filer le cordon sacré
le morceau de fleuve
qui me rendra à un autre courant
où toutes les voix clament,
où toutes les musiques chantent,
où toutes les pluies disent :
Lazare, lève-toi ! ”



Traductions de Marcel Kemadjou Njanke.

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